Gitans, Roms, Manouches… : chaque groupe se différencie des autres par les pays et régions d’Europe où ils ont longtemps séjourné et où ils vivent : l’Espagne pour les Gitans, où ils sont pratiquement tous sédentarisés ; l’Allemagne, l’est de la France et le nord de l’Italie pour les Manouches ; les pays de l’est pour les Roms. Ils viennent tous de ce long voyage commencé dans le nord de l’Inde vers le Xe siècle.

Je suis à l’aumônerie des Gitans et gens du voyage dans les diocèses de Lille, Arras et Cambrai. Pour établir une confiance, il faut beaucoup de temps. Vis-à-vis des « gadjés » (non voyageurs), il y a une méfiance qui vient de souffrances endurées depuis des siècles et qui durent encore aujourd’hui. Dans cette pastorale, il y a une exigence, celle de l’écoute et de l’accueil de ce qui constitue l’âme de ce peuple, ses coutumes, ses valeurs essentielles, son rythme de vie, sa manière d’appréhender la maladie, la mort, l’amour. L’évangélisation commence par cette reconnaissance spécifique de ce que tout ce peuple, chargé d’histoire, porte en lui de vraie lumière et de vraie sagesse, comme aussi de vraies douleurs et de vraies blessures.

L’aumônerie des Gitans et gens du voyage est pour moi d’abord un « ministère de la Visitation ». Au début, j’ai fait beaucoup de visites (et j’en fais toujours), en prenant le café d’un terrain à l’autre, d’une caravane à l’autre et en parlant avec les gens. L’aumônerie existe depuis longtemps dans la région et j’ai des demandes : baptêmes, catéchisme, préparation à la confirmation, temps de prière autour de la Parole de Dieu, présence lors de décès, catéchuménat, préparation au mariage…

Par cette fréquentation, je découvre un peu plus la foi de ce peuple. Leur univers baigne dans le sacré. Leur expression de foi fait appel aux sens : toucher les statues du chemin de croix, la médaille qu’ils ont autour du cou ; voir les images pieuses qu’ils ont dans leur portefeuille, qui ornent les caravanes et les camions. Ils vivent leur foi par le corps, les sentiments, les émotions, comme j’en ai été témoin au pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer où je suis allée. Les soirées de prière étaient soutenues, profondes, priantes. Le contenu de leur prière exprime tout à la fois leur vécu quotidien, bien souvent douloureux, particulièrement dans leurs relations aux « gadjés », et leur confiance en ce Dieu qui les soutient, les sauve.

La prière est le fond de leur culture et lorsqu’ils sont en relation avec Dieu ou avec Ste Sara (patronne des Gitans), le regard des autres n’existe plus. Ils savent que Dieu écoute les exclus, les rejetés du monde et leur confiance en Dieu est immense.

Les pèlerinages rythment la vie chrétienne des voyageurs. Ils sont très importants au niveau de toute l’aumônerie car ils sont une école de foi pour que toute la vie soit pèlerinage. Les très pauvres m’enseignent, ils me disent des choses sur le pardon indispensable pour que la vie continue. Ils ont tellement besoin les uns des autres dans leur vie quotidienne qu’ils savent repartir à zéro et se donner tout de suite un coup de main. Je m’émerveille de ce que Dieu le Père révèle aux plus petits, ils m’apprennent l’amour et la charité.

Ce qui me passionne aussi dans cette mission, c’est d’essayer de créer des ponts, des liens entre les voyageurs et les « gadjés » pour que les peurs tombent et que nous puissions nous partager nos richesses mutuelles. Il y a encore du chemin à faire pour que nous puissions faire Église ensemble en nous respectant mutuellement. J’essaie de constituer des équipes diocésaines avec des voyageurs et qu’ils puissent progressivement participer aux événements diocésains en apportant leurs richesses. Thérèse que je connaissais bien est décédée brutalement. Un jour, j’étais sur le terrain où elle avait sa caravane et où vivent ses sœurs, sa fille, ses nièces. Plusieurs femmes étaient en train d’éplucher les pommes de terre pour le repas du soir. Je m’assieds auprès d’elles et nous parlons de Thérèse. Elles demandent qu’il y ait une messe anniversaire pour elle et les questions affluent : « Elle est pas morte, elle est avec nous, on le sent. Elle nous donne de la force, elle nous aide. Elle est où ? Elle est au purgatoire ou au ciel ? Est-ce qu’on souffre au purgatoire ? Si elle souffre, je souffre avec elle. Ça dure combien de temps le purgatoire avant d’aller au ciel ? On prie pour les morts et ils prient pour nous. On est ensemble. » Je leur parle de la congrégation dans laquelle je suis, de notre fondatrice, de la communion des Saints. Grand moment de bonheur et de grâce que je partage avec elles et l’une d’elles ajoute : « Avant je disais que j’étais croyante, mais c’était pas trop vrai. Maintenant j’y suis à fond, je crois en Dieu et à Jésus. C’est Thérèse qui m’aide, elle me donne de la force. Je veux apprendre à prier. »

Un camion-chapelle

Je crois que l’aumônerie des Gens du Voyage doit être une aumônerie itinérante, « en plein vent », qu’elle ne se sédentarise pas afin de rester proche de l’âme de ce peuple. C’est ce que nous rappelle fortement le pape François dans « La joie de l’Evangile » :  « Il est vital qu’aujourd’hui l’Eglise sorte pour annoncer l’Evangile à tous, en tous lieux, en toutes occasions, sans hésitation, sans répulsion et sans peur. La joie de l’Evangile est pour tout le peuple, personne ne peut en être exclu. » (N°23)

Le « camion chapelle » est pour aller rejoindre ceux qui ne participent pas encore aux temps de prière que nous avons chez les uns chez les autres, « les plus oubliés », ceux qui ne viendront peut-être jamais dans une église pour la messe.

Le camion permet de faire un « point d’aumônerie » sur un terrain : catéchisme le matin, Eucharistie l’après-midi, temps autour de la Parole de Dieu de temps en temps, présence, accueils spontanés et échanges.

En juillet 2017, lors d’un échange avec Mgr Ulrich, évêque de LIlle, les Voyageurs lui ont demandé s’il serait possible d’avoir le St Sacrement dans mon camion. Ils ont dit ceci :

« Nous aimerions avoir le St Sacrement pour :

  •   Aller dans les terrains perdus apporter Jésus
  •   Rejoindre les Voyageurs qui ne viennent pas encore aux prières ou aux messes
  •   Aller dire aux Voyageurs que Jésus les aime
  •   On voyage et Jésus voyage avec nous (dans le camion)
  •   Pour évangéliser, aller à la rencontre des Voyageurs plus pauvres »

En octobre Mgr Ulrich a répondu positivement et un très beau tabernacle a été fabriqué par Charly, voyageur de la région. D’autres ont travaillé pour l’installer et faire que ça soit beau. Le Jeudi saint 2018, nous avons célébré la Cène dans la chapelle de la maison du diocèse de Cambrai. A la fin de la messe, nous sommes allé en procession jusqu’au « camion-chapelle » qui a été béni ainsi que le tabernacle, et le Saint Sacrement y a été déposé. Maintenant c’est vraiment un « camion-chapelle » et nous allons sur les terrains pour des temps de prière.