C’est le sourire de Catherine qui est probablement présent à la mémoire de beaucoup d’entre nous, alors que nous nous réunissons pour lui dire à-Dieu. Un sourire qui a résisté dans l’épreuve, un sourire qui savait goûter tout ce qu’elle a reçu de bon, un sourire habité de la source et du sens de sa vie : l’amour de Jésus-Christ.

Catherine, Thérèse de son nom de baptême, Feng Xiu Zhen de son nom chinois, est née à Shanghai en 1922 dans une famille bouddhiste et, ayant perdu ses parents jeune, elle a été élevée par une tante. Douée d’une grande intelligence pratique, elle a travaillé tôt en assumant des responsabilités à la ferme, ce qui l’a empêchée d’être scolarisée et d’apprendre à écrire le chinois : elle en a souffert toute sa vie. La proximité géographique du Sen Mou Yeu, grand lieu de vie et d’apostolat des Auxiliatrices, a donné l’occasion à Catherine de découvrir la foi chrétienne et la vie religieuse. Saisie par l’amour indéfectible de Jésus-Christ, elle a lutté avec une volonté de fer pour que sa famille la laisse se faire baptiser et entrer chez les Auxiliatrices, non sans angoisse car elle a eu longtemps peur qu’à cause de son manque d’instruction on ne la garde pas. C’était une femme profondément enracinée dans la prière.

Entrée au noviciat en 1945, elle a fait ses premiers vœux en 1948 et, pendant quelques années, a effectué les travaux les plus divers au Sen Mou Yeu. En 1952, le régime communiste dispersait les Auxiliatrices et Catherine s’est trouvée réfugiée dans une famille où elle a vécu 27 ans, travaillant pour cette famille et faisant prospérer ses affaires. Elle savait décourager les tentatives d’interrogatoires des communistes en prenant un air idiot.

Elle n’avait pas encore fait ses vœux définitifs à l’époque et je voudrais lui donner la parole sur cette période de sa vie :

Au commencement des événements, j’ai quitté le Sen Mou Yeu pour aller dans la famille. Je pensais que c’était pour 6 mois ; après, toutes les sœurs sont parties, alors je n’avais plus d’espoir.

Petit à petit, il n’y avait plus de rencontre avec les sœurs. Au début j’allais une fois par semaine à la communauté du Sen Mou Yeu. Au moment où Mao envoyait les sœurs en prison, c’était fini, je ne voyais plus personne.

Je n’avais pas encore fait mes vœux perpétuels, je n’étais pas encore tout à fait Auxiliatrice. Je pensais que si un jour je devais mourir, personne ne saurait que je suis Auxiliatrice, mais les sœurs mortes et au ciel, elles, me reconnaîtraient, et sœur Raymonde, sœur Pia ma supérieure, sœur Bernadette… et d’autres !…

… Les chrétiens étaient persécutés. Moi aussi, je suis chrétienne, mais cela ne se voit pas, c’est dans le cœur. Quelques personnes avaient peur et me demandaient : « Etes-vous chrétienne ? »… Je n’allais pas à l’église, je ne répondais pas. Au début, il fallait être très prudente, je ne parlais à personne. Mais une fois par semaine, je retournais au Sen Mou Yeu, et aussi pour la retraite. Puis j’ai renouvelé mes vœux, et ensuite, une fois par an. Sœur Pia, la supérieure, m’a dit : « Chaque année le 8 septembre, vous renouvellerez dans une chapelle – si cela n’est pas possible, vous le ferez avec une sœur – s’il n’y a personne, vous le ferez dans votre cœur ».

Chaque mois, j’allais voir sœur Bernadette, puis elle est partie en prison. Pendant 13 ans, j’ai renouvelé toute seule, devant la Sainte Vierge et mon bon Ange.

En 1981, la situation politique plus détendue permet une reprise de contacts entre Auxiliatrices et Sr Bernadette, sa supérieure sortie de prison, propose à Catherine de faire ses vœux perpétuels. Elle ne s’en pense pas digne mais y est encouragée et, aidée par Sr Bernadette, écrit à la supérieure générale : « Ma mère, je vous demande une permission : je désire être unie au Christ. » La réponse arrive rapidement et Catherine prononce ses vœux clandestinement, chez le frère de Sr Marie-Agathe venue de Hong Kong.

La vie poursuit son cours jusqu’en 1989 où se présente la possibilité, pour des sœurs chinoises dispersées qui en ont le désir, de partir rejoindre une communauté d’Auxiliatrices, concrètement celle d’Epinay en France. Avec sa vocation si ancrée et son tempérament si déterminé, Catherine entame une nouvelle lutte pleine de rebondissements pour que la famille où elle vit et travaille la laisse partir : tractations financières, recherche d’une personne qui pourrait la remplacer… A nouveau soutenue par Sr Bernadette à cette étape, Catherine vainc tous les obstacles et rejoint le petit groupe de sœurs chinoises à Epinay. « Bon Dieu a tout arrangé », aimait-elle dire en évoquant ces souvenirs.

Catherine passe 17 ans dans la grande maison d’Epinay où elle rend toutes sortes de services, avec une prédilection pour le jardin. Puis elle est envoyée à Versailles. Nous l’avons connue très reconnaissante pour les conditions dans lesquelles elle a pu vivre sa vie religieuse en France ; nous l’avons connue priante, dévouée, humble, espiègle, volontaire et même un peu têtue…

Il nous revient maintenant de la confier au Seigneur afin qu’au terme d’une vie toute habitée de Lui, elle puisse pleinement « entrer dans la joie de son maître ».

(mot d’accueil de la célébration de ses funérailles, fin octobre 2019)