La période de confinement a mis de nombreuses familles en difficulté. Hélène, engagée à l’antenne du Secours catholique de la Seine-Saint-Denis, s’est mobilisée avec d’autres.

Mi-mars, début du confinement… Tous les lieux recevant du public ferment. Ceux des associations caritatives aussi. Mais, rapidement, elles inventent de nouvelles stratégies pour poursuivre autrement leurs activités et répondre aux besoins qui se font jour. Le Secours catholique achète 2,5 millions d’euros de chèques service et organise son réseau national pour distribuer ces chèques aux familles en précarité. Avec le soutien de ma communauté, je me propose pour coordonner cette action sur Sevran (93) où nous habitons.

Je commence par téléphoner aux familles que nous connaissons sur l’antenne de Sevran – presque exclusivement des familles sans papiers, qui vivaient de travaux informels et se retrouvent sans aucune ressource. Rapidement mon numéro de téléphone se met à circuler dans les trois hôtels sociaux de la ville. Il est aussi affiché sur la porte du local en centre-ville. Au bout de quelques semaines, je reçois presque chaque jour une nouvelle demande : « Madame, s’il vous plaît, on n’a rien à manger… s’il vous plaît, on a besoin de vous… ». Je prends des noms, des numéros de téléphone et transmets à la délégation qui me fait parvenir les chèques. C’est quelques 70 familles qui sont aujourd’hui sur notre listing.

Hélène en tournée

Depuis début avril, tous les 15 jours, avec trois autres bénévoles, nous partons faire le tour de la ville, munis des enveloppes contenant les précieux chèques services. Je découvre Sevran ! Beaucoup de familles sont hébergées dans des maisons subdivisées en plusieurs appartements : impossible de mettre les chèques services dans les boîtes aux lettres. Elles sont partagées entre trop de monde, à moitié défoncées, pas sûres et ne portent pas forcément les noms des habitants qui sont rarement déclarés comme locataires. Il faut téléphoner, donner l’enveloppe « de loin ». C’est une heureuse occasion de prendre quelques nouvelles. Dans Sevran devenu une ville-fantôme, une femme me dira : « Merci, on n’est pas seul ».

Je découvre aussi la réalité des hôtels sociaux. Là, certaines familles sont censées être aidées par le Samu social (le 115), d’autre par nous. Ça complique sérieusement les affaires : tout le monde préfère les chèques services du Secours catholique, qui permettent aux personnes d’acheter ce dont elles ont vraiment besoin, aux colis alimentaires du Samu social remplis d’avance… Épreuve de devoir dire qu’ils sont sur la liste du 115, pas sur la nôtre. Arbitraire des administrations. Nous finirons par aider quand même un peu les familles du 115, ponctuellement, car les colis sont insuffisants et inadaptés pour ceux qui ont des bébés. Mais les demandes sont trop nombreuses et nous ne pourrons jamais répondre à tout le monde, autant de fois qu’il le faudrait…

Malgré cela, ces distributions ont été pour moi des moments teintés de consolation profonde : sortir, aller à la rencontre, partager quelques mots, connaître un peu mieux les familles que nous accompagnons en les rejoignant sur leurs lieux de vie… est une chance. En plein Ramadan, j’ai touché du doigt une communion profonde avec des parents musulmans évoquant leur souci pour leurs enfants, leur foi en Dieu, nous confiant à lui pour notre « tournée »… J’ai vu des visages de tant de pays différents que j’ai portés dans ma prière de confinée. Nous venons de vivre notre dernière distribution. A la faveur du déconfinement et du soleil, la place devant les hôtels sociaux – coincés entre la zone commerciale et la cité du Nord de la ville – est devenue un lieu de vie où j’ai goûté une joie forte en discutant avec des familles devenues des compagnes de route de ces dernières semaines. Comme un cadeau pour cette dernière visite, Mme C. est descendu de sa chambre en nous voyant arriver pour nous partager la bonne nouvelle qu’elle venait de recevoir : sa demande d’asile vient d’être accordée !

Maintenant, nous allons reprendre nos modes d’actions plus habituels, moins distributifs. Je m’en réjouis car le distributif n’est pas « notre ADN ». Mais c’est sûr qu’il le fallait, et que probablement il le faudra encore, dans une ville comme la nôtre où les personnes que nous accueillons au Secours sont en majorité des personnes sans droit au travail. Et c’est sûr que ce n’est pas le moment de nous mettre au chômage : mon téléphone continue de sonner, les besoins sont toujours là, immenses.