Nombreuses sont les familles spirituelles qui ont en commun un même engagement à la suite du Christ. Cela ne les empêche pas d’avoir chacune une vocation propre qui se dit à travers quelques expressions privilégiées. Celles-ci sont une manière de rendre compte d’un « charisme », c’est-à-dire d’un don particulier reçu de l’Esprit-Saint.

C’est ainsi que les intuitions fondatrices de Marie de la Providence inspirent encore aujourd’hui la famille auxiliatrice à laquelle appartiennent les sœurs auxiliatrices, les auxiliatrices séculières, des groupes d’associés et d’amis ainsi que des congrégations fondées en Chine à l’initiative des auxiliatrices.

Pour mieux connaître cette famille, voici quelques formules-clés.

L’Institut est encore tout jeune – il a à peine plus de dix ans – quand un premier groupe d’auxiliatrices s’embarque pour la Chine. C’est alors que Marie de la Providence prononce la formule où elle exprime avec le plus de force l’originalité de son intuition fondatrice : « aller des profondeurs du purgatoire aux dernières limites de la terre ».

« Pourquoi cette importance accordée au purgatoire ? », nous demande-t-on souvent. Une première explication se présente comme évidente, et elle a sa part de vérité. Le XIXe siècle a connu un développement considérable de la dévotion aux âmes du purgatoire. Eugénie Smet a vécu dans ce contexte qui l’a influencée. Mais l’essentiel n’est pas là. La future fondatrice ne s’est jamais montrée particulièrement préoccupée par la mort. Enfant et adolescente elle n’a pas connu le deuil. Elle aimait la vie et débordait de vitalité. En s’approfondissant, sa dévotion aux âmes du purgatoire est restée d’une grande sobriété, alors même que des courants de piété multipliaient les récits d’apparitions et les appels à l’imaginaire. La véritable raison pour laquelle Eugénie s’est intéressée si vivement aux âmes du purgatoire est sans doute à chercher dans son tempérament passionné et entreprenant. Dès sa jeunesse elle a multiplié les initiatives pour que tous puissent parvenir à ce qui est le but ultime de toute vie humaine, le but pour lequel tout homme est créé : l’union définitive avec Dieu. Pour cela, elle a fondé des œuvres et s’est dépensée sans compter au service de la Sainte Enfance afin de soutenir le travail missionnaire auprès des enfants de Chine.

Mais toute cette activité se heurtait à de sévères limites : celles que la société du XIXe siècle imposait aux femmes. Eugénie était convaincue qu’il n’y a aucune frontière à l’amour. Alors elle a décidé de franchir tous les obstacles, à commencer par celui qui paraît le plus insurmontable : la mort. Le purgatoire, c’est là que se trouvent les êtres humains qui aspirent le plus profondément à l’union à Dieu et qu’il ne faut pas oublier, car une mystérieuse solidarité les unit à ceux qui vivent sur cette terre. Cette solidarité, la tradition de l’Église l’appelle communion des saints. Les biens spirituels franchissent la barrière de la mort et ils sont faits pour être mis en commun. La doctrine du purgatoire affirme la réalité d’une communion universelle qui dépasse toutes les frontières. Elle suppose que notre prière et l’engagement de notre vie ont un retentissement sur nos frères et sœurs, qu’ils soient ici-bas ou au-delà, chrétiens ou non. À cette lumière, on comprend l’enthousiasme de Marie de la Providence face à un appel pour la mission de Chine.

Concrètement, que feront les auxiliatrices ? La réponse tient dans une formule qui ne manque pas d’audace et qui peut surprendre par son imprécision : « aider à tout bien quel qu’il soit ». Est-ce un refus de choisir ? S’agit-il de faire n’importe quoi ? Assurément pas. L’histoire de l’Institut le montre. Dès les origines, Marie de la Providence a refusé avec obstination de se lier à une œuvre particulière. Les auxiliatrices sont appelées à constamment « discerner », qu’elles aient la responsabilité d’envoyer leurs sœurs ou qu’elles soient envoyées. Dans tous les cas la décision devra être prise en fonction non seulement de la situation mais de ce que l’Esprit-Saint inspire au plus profond de chacune. Les engagements sont très divers, mais il existe des orientations privilégiées liées au « charisme » de l’Institut. La référence au purgatoire place la vocation auxiliatrice au cœur même du mystère pascal, en solidarité avec tous ceux qui suivent Jésus-Christ dans sa Pâque, qu’ils soient sur la terre ou passés par la mort. Sur ce chemin il y a des priorités : aider autrui à rencontrer Dieu ; rejoindre les personnes et les groupes qui passent par des situations d’épreuve et de croissance. Dans la fidélité à l’esprit d’audace qui animait leur fondatrice, les auxiliatrices savent qu’elles ne doivent pas craindre d’affronter les situations limites où le service des hommes et de la Parole de Dieu rend légitimes les risques pris.

Très tôt, la jeune Eugénie a eu vivement conscience de la proximité de Dieu et des bienfaits dont il la comblait. Elle reconnaissait sa présence à de multiples signes et, à son tour, elle voulait « être la providence de la Providence ». Dans un premier temps, ce désir a pris une forme quelque peu naïve et très marquée par la mentalité religieuse de l’époque. Dieu donne tout et répond à nos attentes. Alors il faut lui donner tout ce qu’on peut en multipliant les actes de piété et les œuvres. Cet échange d’amour, Marie de la Providence devait apprendre à le vivre, non seulement dans la confiance mais dans l’abandon. Un don sans réserve ignore tout calcul et s’en remet à l’amour libre et gratuit de Dieu. À qui donne tout Dieu ne peut rien refuser, mais il faut renoncer à toute garantie. Le véritable amour est sans mesure. C’est ce dont Marie de la Providence témoignait à la fin de sa vie.


Christiane Hourticq
Brochure Auxiliatrices 2017 pages 4-6