Je travaille dans une association qui héberge, soigne et accompagne des personnes en situation de précarité ou d’exclusion vers une insertion sociale et professionnelle. Ses activités sont multiples : accueil et hébergement de personnes en situation d’addiction, activités de réinsertion sociale et professionnelle à destination de personnes en rupture d’emploi ou porteuses d’un handicap, hébergement et accompagnement de femmes victimes de violences, soins de personnes en situation de précarité, hébergement et accompagnement de personnes en souffrance psychique. L’accompagnement doit être adapté à chaque individu, mais dans une approche globale.
Pour moi, c’est tout le mystère de l’Incarnation de Jésus et le mystère pascal qui traversent ma mission, car travailler auprès des personnes les plus démunies c’est être témoin des ténèbres et de ce qui est lumière dans l’histoire de chacun.
Dans le livre Madeleine Delbrêl, Un coude-à-coude fraternel avec les incroyants et les pauvres [1], Gilles François et Bernard Pitaud citent Madeleine Delbrêl – « Jésus partout n’a pas cessé d’être envoyé » – et poursuivent :
« Comme Jésus, à notre tour, nous sommes les envoyés de Dieu. Notre vie n’a donc rien de statique, elle est essentiellement mouvement vers nos frères. C’est ainsi que Madeleine concevait la vie chrétienne, comme un mouvement, un élan de charité ». […] Elle écrivait : « Jésus est avec moi parmi les hommes d’aujourd’hui. À travers moi, en moi, c’est lui qui vient à la rencontre de tous ces gens qui me croisent dans la rue ».
À mon tour, en tant qu’assistante sociale, je suis envoyée à temps plein pour consoler son peuple résidant à la Pension de Famille où je travaille. Il s’agit de 25 personnes isolées, de neuf nationalités, qui ont un statut de locataire. Elles sont aux marges de notre société parce qu’elles viennent de la rue, de la drogue, de la prison. Elles n’ont pas pu s’intégrer comme tout le monde faute de santé, de travail, de liens sociaux, ou parce qu’elles ont un lourd handicap social ou physique qui les menacent continuellement d’exclusion.
Mon travail consiste à les écouter, les accompagner dans leurs démarches administratives, sociales, médicales, dans la recherche d’un emploi, d’un logement social adapté en faisant prévaloir leurs droits. Il consiste aussi à susciter des activités collectives (par exemple des sorties à l’extérieur) afin de les aider à rompre l’isolement et à favoriser et renforcer les liens sociaux entre elles. Il s’agit vraiment d’un accompagnement global.
Mon expérience de rencontre et d’accompagnement de ces personnes n’est pas d’abord une expérience de joie, mais celle d’un combat, un combat social, pour mettre l’homme debout, un combat pour la dignité humaine, un combat pour la justice, un combat vécu dans la persévérance, le discernement et la résistance, dans les doutes et les questions. Un combat que je livre avec eux pour que naisse une confiance réciproque qui seule permet des avancées, surtout en se laissant accompagner à tous les niveaux de leur vie. Il n’est pas toujours facile d’accompagner quelqu’un qui est toujours dans le déni de sa pathologie.
Ainsi donc, animée par notre charisme et la spiritualité ignatienne, je porte toujours le désir de contribuer à l’amélioration des conditions de vie de ces personnes en grande souffrance. C’est un cadeau pour moi de pouvoir le faire. « Je connais la misère de mon peuple, j’ai entendu son cri et son angoisse. » (Exode 3, 7).
Le suivi et l’accompagnement de ces personnes est pour moi une rencontre de Dieu. J’y vis le mystère pascal. Je voudrais souligner la confiance profonde ressentie dans l’écoute de leur histoire personnelle. Je suis témoin que certaines personnes retrouvent goût à la vie et sortent d’elles-mêmes pour en aider d’autres.
Pour moi, ce qui est urgent, c’est la personne humaine et le respect de chacun quel qu’il soit avec ce qu’il est et ce qu’il a.
[1] « Sur la route des saints n°37 » fidélité Ed Jésuites 2019