L’Espérance nous tient au cœur


Ecrite en de multiples langues sur la porte de notre chapelle à La Barouillère, l’espérance nous tient bien sûr au cœur mais de quoi s’agit-il ? Marie-Claude fait le récit d’une expérience qui fut pour elle une leçon d’espérance.

« Dieu a donné une sœur au souvenir, et il l’a appelée espérance. » (Michel-Ange)

Si l’on en croit les dictionnaires, c’est d’abord une vertu commune de l’humanité, un de ces « habitus de la volonté acquis par la répétition des actes » qui, selon la philosophie des grecs anciens, permet une vie bonne.

Elle est aussi une des trois vertus théologales telles que les présente St Paul dans l’épître aux Corinthien (Co 13,13). Une vertu théologale c’est, en termes chrétiens cette fois, une « vertu qui doit guider les humains dans leur rapport au monde et à Dieu ».

Mais concrètement comment vivre l’Espérance ?

Y repensant, je me suis souvenu d’avoir, il y a un peu plus de 5 ans, reçu une magistrale leçon d’Espérance…

C’était la fin de l’année, mes collègues me préviennent un matin avec une drôle de voix : « Tu sais on t’a rajouté un bébé en consultation ; tu verras elle a une ‘petite tête de mort’ ». Jamais je n’ai entendu cela, mais c’est mieux d’être prévenue.

Sa mère nous l’amène le surlendemain et effectivement, ce bébé d’un mois, malingre, a un aspect très impressionnant : une toute petite tête, un visage minuscule aux oreilles malformées, un nez à peine ébauché et des yeux qui se croisent, un palais tellement en ogive qu’elle a du mal à téter et fait en respirant un bruit bizarre. Que s’est-il passé ? Elle arrive un mois après sa naissance sans compte-rendu de la maternité, où l’on a par ailleurs négligé de l’adresser en consultation spécialisée pour un diagnostic et une prise en charge, la renvoyant simplement avec sa « petite tête de mort » à la maison… Entend-elle ? Y voit-elle ? Rien de sûr, mais elle bouge spontanément bras et jambes et sa mère la regarde avec amour, comme on fait pour le plus beau bébé du monde. Et là nous ne comprenons pas :

L’Espérance est-elle aveugle ?

Passé le premier choc, il faut s’organiser, prendre les rendez-vous ORL et ophtalmo, ceux de la consultation des maladies rares… Surveiller l’alimentation et la prise de poids, chercher un service de rééducation qui veuille bien la prendre en charge avant d’avoir un diagnostic complet et la notification de handicap pour financer la prise en charge.

L’Espérance, « habitus de la volonté acquis par répétition » ou, du moins, ce qui l’exprime et la soutient se construit à plusieurs.

Il est plus que temps, aux alentours de ses 5 mois, alors que la rééducation peut commencer à domicile trois fois par semaine, de parler un peu de handicap avec cette maman, toujours souriante, toujours attentive, à l’heure à tous les rendez-vous mais qui, dans la salle d’attente, se place face au mur, protégeant son trésor des regards indiscrets. Cela nécessite un interprète tamoul car jusque-là nous avons échangé avec un minimum de mots communs. J’explique : le handicap, les soins, les progrès, c’est sûr il y en aura mais jusqu’à quelle infranchissable limite ?

L’Espérance, dit encore St Paul, ne tient pas son objet : « Voir ce qu’on espère ce n’est plus espérer » (Rom 8,24).

L’interprète traduit, elle écoute, je redis le mot handicap pour introduire le parcours de soin et là, elle fond en larmes, comme si jamais elle n’avait pu le penser, comme si je venais de renverser la fragile barrière qui la protégeait encore.

L’espérance peut-elle mourir sous le poids trop lourd du réel ?

Les rééducations commencent – kiné, psychomotricienne, orthophoniste –, leur régularité sera exemplaire, y compris pendant grèves et vacances (il y en eu pas mal). Je vaccine et parle à cet étrange bébé, mes collègues pèsent et mesurent, prennent du temps pour faire jouer la grande sœur, trop sage, qui accompagne la maman.

Un autre bébé s’annonce, elle choisit de ne pas le garder. Tristesse.

L’espérance la plus forte peut mettre un genou en terre.

Et Tharushika grandit. A 1 an ½ elle saisit presque un jouet, à 2 ans on peut l’aider à s’asseoir. Elle grandit et grossit, très en dessous de toutes les courbes mais elle grandit et grossit… Nous la voyons moins. Le suivi se poursuit, à la maison et dans les services spécialisés qui nous envoient des courriers réguliers.

Je la revois une dernière fois en septembre 2019, elle a presque 3 ans. En fait, je vois sa petite sœur car un autre bébé est arrivé, l’aînée vient d’entrer au CP. Et Tharushika est là, debout, cramponnée à la chaise de sa maman qui la regarde encore et toujours avec cette douce et tendre admiration. J’explique que je pars à la retraite, elle comprend mieux le français mais parle peu, nous échangeons un long regard d’amitié et d’Espérance, elle sourit.

Tel fut mon professeur. Péguy parle si bien de la petite fille Espérance née un soir de Noël. Je crois pour ma part avoir croisé la femme Espérance, petite femme étrangère et tenace. Je n’ai jamais bien su sa religion, nous avions trop peu de mots communs, mais je la vois dans la lumière de Pâques, elle avance et ses enfants marchent avec elle.