En hommage à Régine, une femme libre

Régine

Régine du Charlat, née en 1937 en Tunisie, est entrée chez les Soeurs Auxiliatrices en 1960. Elle a fêté cette année son jubilé de diamant (60 ans depuis ses premiers vœux) et elle est décédée le 27 novembre, après une longue maladie. Pendant plus de 30 ans elle s’est consacrée, d’une façon ou d’une autre à la formation de responsables dans l’Église, aussi bien sur le terrain qu’à l’université. Des Auxiliatrices et des amis se souviennent…

En mémoire de Régine

Mot d’accueil d’Elisabeth, Auxiliatrice, lors de la célébration des funérailles

Le dernier jour est arrivé pour Régine, jour de la rencontre définitive avec Celui qui nous appelle à entrer dans la plénitude de la vie. Et ce jour est arrivé dans l’année où Régine célébrait son jubilé de diamant (60 ans de vie religieuse).

À travers le deuil et les larmes, nous sommes rassemblés ce matin pour la confier entre les mains aimantes et miséricordieuses du Père, et rendre grâces pour sa vie donnée et reçue jour après jour.

Cette vie a été essentiellement une vie eucharistique, consacrée au partage de la Parole et du Pain, parole et pain offerts au quotidien des jours.

Sa consécration au partage de la Parole de Dieu a pris chair, tout au long de sa vie auxiliatrice, dans des engagements divers : catéchuménat à Nantes et à Paris, formation des laïcs au Centre d’Études Pastorales et Catéchétiques (CEPAC), à l’extension universitaire, à l’Institut Supérieur de Pastorale Catéchétique, fondation de l’Institut des Arts Sacrés à l’Institut Catholique de Paris.

Cette consécration a aussi pris chair dans l’écriture de nombreux articles et de livres qui tous témoignent de son souci de rendre accessibles les fruits qui naissent de l’écoute aimante de la Parole de Dieu. Ce souci l’a habitée quasiment jusqu’à la fin. Alors même qu’elle avait déjà perdu la plupart de ses repères, elle gardait encore le désir de publier un recueil d’articles.

Cette consécration a enfin pris chair dans l’accompagnement et l’écoute de nombreuses personnes (et tout particulièrement de sa famille et de sa maman qu’elle allait voir chaque jour, quel que soit son travail et sa fatigue), l’accompagnement et l’écoute des personnes en formation ainsi que des sœurs et des communautés dont elle était la supérieure.

À travers ces différents engagements, Régine n’avait pas d’autres désirs que de permettre à la foi de se dire dans le quotidien des jours.

L’autre aspect de sa vie eucharistique a été le partage du pain. Comment ne pas évoquer le talent culinaire qui était le sien, talent qu’elle a mis en œuvre au quotidien dans les communautés où elle a vécu et où elle tenait très régulièrement table ouverte pour des ami/es et collègues, table ouverte qui était toujours l’occasion, non seulement de réjouir les papilles gustatives des invitée/es, mais aussi de mettre en relation des personnes venues d’horizons divers pour des échanges de vues tout aussi savoureux que le repas qu’elle avait préparé.

Si Régine a partagé ainsi le pain, elle a aussi et surtout fait de sa vie un pain rompu et donné aux autres, sans jamais compter. Beaucoup d’entre nous ici présents pourraient témoigner de sa disponibilité pour écouter, consoler, conseiller, de sa disponibilité pour simplement se rendre présente à celles et ceux qu’elle rencontrait. Et cela y compris durant ses dernières années où la maladie la privait jour après jour de la mémoire de ce qu’elle avait vécu et accompli.

Ensemble rendons grâce à Dieu pour la vie eucharistique qui fut la sienne. Je lui laisse maintenant le dernier mot, extrait de la préface qu’elle a écrite en 2002 pour le livre de Laurence Bernot et Claude Gourdin, Il entra librement dans sa passion. Même si elle parle de l’œuvre de Laurence, un chemin de croix, je vous invite à entendre aussi le mot « œuvre » dans le sens de l’accomplissement de la vie. Je cite Régine :

« L’œuvre livrée, épiphanie dans le sensible des chemins de la Parole, ne peut s’arrêter en elle-même. Elle appelle d’autres épiphanies, d’autres œuvres – du visage humain transfiguré par l’Esprit, à l’œuvre d’art, écho de la Parole – qui toutes continueront à donner corps à la Nouveauté de l’Évangile ».

Le secret de sa vie, c’était d’être témoin de la résurrection.

Témoignage de Geneviève, Auxiliatrice

Régine aimait rappeler que dans son alliance d’engagement religieux, elle avait fait graver l’expression « témoin de la résurrection » qu’on trouve dans les Actes des Apôtres. C’était pour elle un pari formidable. C’est ce qu’elle tentait de traduire dans son écriture en cherchant la manière de rendre compte de ce cœur de la foi chrétienne qui est la foi en la mort et la résurrection du Christ, dans l’expérience humaine transfigurée, même si tout n’y est pas résolu.

[…] L’au-delà si important pour une Auxiliatrice est pour elle sans description, inimaginable comme Dieu lui-même, c’est le lieu de Dieu. Quand elle parlait de la communion des saints sur fond de lecture de l’Apocalypse lue le jour de la Toussaint : « Je vis une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, tribus, peuples et langues » (Ap 7,9), elle tenait à préciser que le texte ne disait pas s’il s’agit de vivants ou de morts. C’est la foule de ceux que Dieu rassemble et elle est « immense », sans mesure, sans frontière, sans date. Pour elle, ce texte à lire avec Saint Paul aux Romains, indiquait une voie à suivre : une vision de foi unit dans le même regard vivants et morts, d’hier, d’aujourd’hui, de demain. Que nous le ressentions ou non, importe peu. La foi nous ouvre au regard de Dieu lui-même sur l’humanité tout entière.

Alors, sommes-nous morts ? Sommes-nous vivants ? Avec son engagement à vivre vivante pour Dieu, unie en Jésus Christ passé par la mort dans un consentement jusqu’au bout à l’amour, Régine nous disait une bonne nouvelle au cœur de ce silence et de cette nuit dans lesquels elle entrait. Merci Régine !

Une belle théologienne

Extrait de la chronique d’Isabelle de Gaulmyn (dans La Croix n°42791 du 9-10 décembre 2023, p.41)

Est-ce parce qu’elle était une femme ? Elle avait de la théologie une perception non pas doctorale, ou descendante, mais conversationnelle. La théologie, chez elle, n’était pas seulement un savoir, mais un art de vivre, plein de fraternité (sororité ?) et d’hospitalité.

L’itinéraire spirituel d’une théologienne

Extraits d’un interview pour le journal La Croix, 2005

Finalement, tout au long de mon itinéraire, je crois que si j’avais un titre à me donner, ça serait celui de catéchète. C’est-à-dire d’abord soucieuse de la foi qui se dit. Et si j’avais à définir ou à décrire ce que j’ai cherché le plus à faire, c’est de trouver comment on peut dire la foi comme expérience.

Un peu plus tard, bien après mes études, et après être passée par la direction d’un centre de formation pastorale et catéchétique à Paris, j’ai été responsable du service de formation permanente de la faculté de théologie … J’en ai profité pour créer un parcours de théologie spirituelle. … C’est là je me suis rendu compte que je creusais, je ne créais pas, je creusais un sillon que je nommerai théologie spirituelle mais qui, pour moi, reste très proche de ce qu’on peut appeler catéchèse. Il s’agit en effet toujours de rejoindre et de dire la foi chrétienne comme expérience.

[…] Je commence toujours par présenter la vie spirituelle de façon très simple et très fondamentale : vivre selon l’Esprit de Jésus-Christ ; ce n’est donc pas un domaine à part de la vie chrétienne. Ce qui veut dire que, pour moi, parler de catéchèse, parler de vie spirituelle, parler de théologie spirituelle, parler d’apprentissage de la vie ecclésiale, c’est montrer que toutes les dimensions de la vie chrétienne communiquent entre elles. Et je crois que j’ai toujours fait très attention à ce que la théologie spirituelle ne soit pas considérée comme une spécialité. Il y a tout simplement une foi chrétienne fondamentale, qui est en elle-même spirituelle, ecclésiale, fraternelle et orientée par la charité et qui ensuite peut se traduire dans l’action sociale, dans l’action catéchétique directe, dans la liturgie bien sûr, ou simplement dans la façon d’intégrer dans la foi la vie du monde, que ce soit la vie personnelle, intime, ou que ce soit les grands problèmes de société. Tout communique.

Publications :
– La vie fraternelle, DDB, 1983
– Tournés vers Dieu, la vie du chrétien, DDB, 1989
– La Parole et le corps, Centurion, 1993
– La réconciliation, DDB, 1997
– L’art, un enjeu pour la foi (direction collectif), l’Atelier, 2002
– Comme des vivants revenus de la mort, une initiation à la vie spirituelle, Bayard 2002
– Il entra librement dans sa passion (présentation d’un chemin de croix) DDB 2002

Et beaucoup d’articles divers publiés dans un certain nombre de revues comme Christus, Catéchèse, Vie chrétienne, La Croix, Études, Points de Repères, Croire Aujourd’hui, Panoramiques, Panorama, Incroyance-foi, Lumen Vitae…