Charité, charité, charité…

7-02-2024

En la fête de Ste Eugénie, le 7 février, les Auxiliatrices se sont retrouvées à La Barouillère avec des amis pour célébrer l’Eucharistie en action de grâce pour leur fondatrice. Voici le texte de l’homélie, qui dessine un portrait de Marie de la Providence (Eugénie Smet) et nous invite, à sa suite, à entrer dans la confiance


« Charité, charité, charité… » L’histoire raconte que votre bienheureuse fondatrice, Marie de la Providence, a murmuré par trois fois le mot « charité » juste avant de mourir, il y a aujourd’hui même 153 ans. Nul ne sait ce que nous allons murmurer à l’heure de notre mort, mais pour Marie de la Providence un seul mot, que dis-je une seule réalité vécue jusqu’au bout et partagée avec tant d’autres femmes, s’imposait, « charité » : une charité qui ne connaît aucune frontière, un amour qui dit la bienveillance du Dieu de la vie pour tous, une compassion qui est capable de remettre debout même celles et ceux qui sont au plus bas, une espérance qui rejoint toute femme, tout homme, où que cette personne se trouve, « des profondeurs du purgatoire jusqu’aux dernières limites de la terre ». Une charité débordante qui s’exprime à trois reprises dans un murmure, comme une brise légère qui dit la présence bienveillante de Dieu, comme un écho à la question posée trois fois par Jésus à Pierre à la fin de l’évangile selon saint Jean : « M’aimes-tu ? » Marie de la Providence fait partie de ses disciples qui ont compris que l’amour du Christ est au commencement de la vie et qu’il en marque aussi, non pas le terme, mais l’accomplissement lorsque vient le temps d’entrer dans la vie avec le Ressuscité.

Les lectures bibliques choisies pour faire mémoire de Marie de la Providence invitent à ne pas idéaliser une vie ou une charité qui ne ferait pas face à la réalité de nos existences ou qui éviterait les combats de toute vie humaine. Je souligne seulement trois phrases, une par lecture, pour nourrir ce soir notre espérance commune.

« A chaque jour suffit sa peine »[1] est le titre d’une chanson du rappeur français Nessbeal.

Papa tape maman, mon cartable, ma tristesse
Mon lit superposé, mes p’tits frères, ma jeunesse
On s’accroche au RER, la vie défile à toute vitesse
Courir, grandir, j’me sens libre dans l’ivresse
Les sous, des soucis, au p’tit déj’ j’en mange par centaines
D’vant la porte les huissiers, impossible d’fuir les problèmes
Aujourd’hui j’en rigole, à chaque jour suffit sa peine

Croire en la Providence ne détourne pas des méandres douloureux de la vie. La Providence permet de les affronter, non pas seul, mais avec d’autres. Les combats de Dieu sont ceux, nous apprend Jésus, de son royaume et de sa justice sans cesse à venir. Ils se vivent au quotidien et se gagnent avec les saints inconnus « de la porte d’à côté ». En parodiant le pape François, nous pouvons dire que notre bienheureuse de ce soir appelle notre Église à être l’Église de la porte d’à côté, une Église qui laisse sa porte ouverte et qui va frapper à la porte de l’autre.

« Près de toi se trouve le pardon » ; « près du Seigneur, est l’amour »[2] : le psaume invite à une proximité non feinte avec le Seigneur. Une proximité vécue dans la prière – et l’eucharistie de ce soir nous fait entrer dans cette bienveillante proximité – mais aussi une proximité éprouvée et confirmée quand nous nous faisons proches de celles et ceux qui sont oubliés, sans espoir, avec un horizon de vie bouché ou une histoire impossible à raconter. S’engager, comme notre vie religieuse apostolique prétend le faire, ouvre à d’autres l’expérience d’une proximité où un amour, un pardon, peut être donné par celui que nous confessons comme celui qui donne, nous rappelle l’Évangile, « par surcroît ».

« Celui [Celle] qui a mis sa confiance dans le Seigneur, a-t-il [elle] été déçu [e] ? »[3], demande le sage. Je ne sais pas ce qu’Eugénie Smet aurait répondu au début de son aventure. Malgré des signes clairs et les encouragements du curé d’Ars pour fonder sa congrégation, elle s’est heurtée à Paris, vous le savez, à de grosses difficultés. Mais l’histoire le raconte : sa confiance n’a pas été atteinte. Sans doute sa confiance a-t-elle été éprouvée comme l’or est éprouvé par le feu, et qu’elle en est sortie grandie. Il en est de même pour nous, dans notre Église du XXIème siècle, qui peine à se réformer et à avancer sur son chemin de conversion synodale pour mettre fin à toute emprise, au cléricalisme, ou encore à l’oubli des femmes dans ses instances de gouvernement. Comme Eugénie Smet, ne soyons pas déçus. Que notre confiance ne s’érode pas, mais qu’elle s’éprouve en passant par le feu des épreuves de notre temps. Comme Eugénie Smet, devenons des bienheureuses et des bienheureux dans notre suite du Christ.

« Charité, charité, charité… » murmurait la fondatrice des Auxiliatrices au moment de rencontrer son Seigneur face à face. Et nous, ce soir ? Alors que nous allons communier au pain de la Vie, nous tenir face au Ressuscité, quel mot viendrait sur nos lèvres pour murmurer au monde la présence bienveillante de Dieu ?

Thierry Lamboley sj


[1] Matthieu 6, 25-34

[2] Psaume 129

[3] Ben Sira le Sage 2, 1-11